Juris’ Post-it n°2

BAIL RENOUVELÉ : FACTEURS DE VALEUR

Ne peuvent être pris en considération, pour le calcul du prix du bail renouvelé, que les éléments existants à la date de renouvellement.

Contexte

Bail commercial concernant des locaux situés en galerie marchande d’un centre commercial ; renouvellement avec arrêté des valeurs au 1er janvier 2012. Or, des travaux d’amélioration et d’extension de la galerie marchande ont été achevés le 28 novembre 2012. La Cour d’appel a considéré que ces locaux étaient déjà acquis et entrés dans le champ contractuel et les a donc retenus comme facteurs
de valeur du nouveau loyer.

Décision

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel en considérant que ces travaux ont eu lieu postérieurement au renouvellement du bail et ne doivent donc pas constituer des facteurs de valeur.

CASS. CIVILE 3ÈME, 9 MARS 2022, N°20-19.188

Chronologie d’appréciation des facteurs de valeur stricte. Il est ainsi interdit de valoriser par anticipation, quelle que soit l’échéance de l’événement futur.

 

LOYER BINAIRE : ABATTEMENT SUR LA VALEUR LOCATIVE

Un bail commercial comprenant une clause de loyer binaire
– loyer minimum garanti et complément de loyer de 6% du CA HT – sans contrepartie pour le preneur subit un abattement de 5% sur la valeur locative.

Contexte

Dans un centre commercial, un bail commercial stipulait un loyer minimum garanti, indexé ainsi qu’un loyer variable de 6% du CA HT (activité d’horlogerie, bijouterie et orfèvrerie).

Décision

La Cour d’appel considère qu’une telle clause, en ce qu’elle procure au bailleur un avantage sans contrepartie, justifie un abattement de 5% sur la valeur locative des locaux. Peu importe que le bailleur ait perçu ou non cette part variable.

COUR D’APPEL DE CAEN, 2ÈME CH.CIVILE, 31 MARS 2022, N°20/00859

L’article R.145-8 du Code de commerce définit les clauses exorbitantes comme les obligations imposées au locataire « au delà
de celles qui découlent de la loi ou des usages ». Or, la clause de loyer binaire est courante en centres commerciaux …

 

Quels abattements pour détention en indivision ?

La forme juridique de la détention peut avoir un impact sur la valeur vénale. 

S’agissant de biens détenus en indivision, la Cour de cassation a clairement précisé que la valeur vénale des droits indivis est spécifique et ne se confond pas avec la quote-part de la valeur vénale totale qu’aurait le bien s’il appartenait à un seul propriétaire (Cass. com. 19-6-1990 n° 867 P ; Cass. com. 10-12-1996 n° 2072 D ; Cass. com. 22-2-2000 n° 486 P ; Cass. com. 4-12-2001 n° 2034 FS-D), 

 

Un bien détenu en indivision souffre d’illiquidité compte tenu notamment de : 

  • La présence de plusieurs indivisaires, 

 

  • La transmission patrimoniale plus délicate, 

 

  • Du potentiel caractère familial et donc conservateur (voire fermé) de l’indivision réduisant l’accès à d’éventuels acheteurs tiers. 

 

 Il convient donc à ce titre, de retenir un abattement tenant compte du caractère indivis de la détention ayant pour effet de rendre les parts moins « liquides » et la gestion plus complexe.  

 

 La jurisprudence est nourrie au sujet de la validité de cette décote :  

  • La Cour de cassation a validé une décote pour indivision de -20% contestée par l’administration fiscale sur une valeur vénale d’un immeuble : « l’administration fiscale méconnaît les limites fixées aux droits des indivisaires par les articles 815 et suivants du Code civil en conséquence desquelles les droits indivis peuvent être considérés comme inférieurs de 20 % à la valeur totale du bien ; » CCA, 16 fev. 2016, n° de pourvoi: 14-23301, 

 

  • La Cour administrative de Nantes a validé une décote pour minorité de -35%, appliquée par l’Administration conformément à l’avis émis par la Commission départementale compétente : « l’administration, après avoir appliqué, conformément à l’avis émis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, un abattement de 35% pour tenir compte du caractère minoritaire de la cession en cause, a déterminé un prix unitaire de 205 euros, sensiblement supérieur au prix d’acquisition susmentionné de 112,51 euros» ; CAA Nantes 20 avril 2009,  n° 08NT01193, 

 

  • TGI PARIS, N°RG : 13/08178 jugement du 7 mars 2014 a retenu décote de -20 % pour illiquidité, 

 

  • TGI PARIS, N°RG : 14/02442 jugement du 5 mai 2015 a retenu décote de -20 % pour illiquidité et -5% pour détention minoritaire. 

 

Notons que ce mécanisme de décote de la valeur vénale en fonction du régime de détention de la propriété s’applique également pour la détention de parts de sociétés civiles.  

Pour cela, il convient de s’appuyer sur les statuts de la SCI pour déterminer quels abattements peuvent alors s’appliquer en fonction notamment des conditions de cessions des parts sociales.  

Rebondissement autour du loyer binaire

La 3ème chambre civile du Tribunal de Grande Instance de CRÉTEIL s’est positionnée, lors du jugement en date du 27 Juin 2018 (RG n° 15/00009 + SARL CARIBO C/ SECAR), sur plusieurs points majeurs d’expertise :

– la valeur non décapitalisée retenue,

– la déduction de l’impôt foncier,

– l’abattement pour le loyer binaire.

  • La valeur locative retenue à partir des valeurs décapitalisées a été rejetée.

Le juge estime « qu’il n’est pas établi, en l’espèce, que le droit d’entrée acquitté soit un complément de loyer ». Il nous rappelle que le droit d’entrée peut revêtir une valeur d’opportunité, indépendante de la charge locative constante acquittée par le preneur.

  • La déduction de la quote-part de l’impôt foncier refacturée au preneur doit s’opérer, même si les baux d’un ensemble immobilier présentent des clauses et conditions identiques.

 Le Juge des Loyers Commerciaux vise l’article R.145-8 du Code de commerce, qui impose de prendre en considération les charges susceptibles d’incomber à l’une ou l’autre des parties, imposées sans contrepartie.

  • L’abattement pour loyer binaire applicable d’office.

Deux arrêts de la Cour de Cassation, 3ème chambre civile, en date du 3 novembre 2016 (RG n° 15/16826 et n° 15/16827), ont précisé, en présence d’un loyer binaire que :
« que le juge statue alors selon les critères de l’article L145-33 précité, notamment au regard de l’obligation contractuelle du preneur de verser, en sus du minimum garanti, une part variable, en appréciant l’abattement qui en découle ».

En l’espèce, le Juge des Loyers estime « qu’il convient d’appliquer un abattement du chef de l’obligation contractuelle de payer un loyer variable additionnel, y compris si celui-ci n’est jamais payé, faute pour le preneur de réaliser un chiffre d’affaires suffisant.

Le fait qu’aucun surloyer n’ait été appelé peut certes être pris en compte pour déterminer le quantum, mais pas pour l’écarter purement et simplement. »

Un abattement de 5% sur le loyer minimum garanti a ici été retenu, du fait que le loyer comporte une partie proportionnelle au chiffre d’affaires du preneur égale à 7,5% du CA HT.

Il s’agit d’une première jurisprudence, qui demande à être suivie, en raison de ses conséquences potentiellement significatives sur les états locatifs des centres commerciaux.

 

 

Loyer binaire et renouvellement, la force du contrat

La cour d’appel de Paris du 3 juin 2020 (CA Paris, Pôle 5 – chambre 3, 3 juin 2020, n° 18/20160) a statué en appel du jugement du TGI de Créteil du 27 juin 2018 (TGI Créteil, 27 juin 2018, n° 15/00009), qui s’était positionné sur plusieurs points majeurs dont l’abattement pour loyers dits « binaires ». L’arrêt rendu semble mettre un terme aux débats qui se tiennent depuis l’apparition de ce type de loyers.

La pratique du loyer binaire a été instaurée dans les centres commerciaux dans les années 60. Ce loyer mixte est composé de deux éléments : un élément fixe « minimum garanti » assorti d’un complément « variable » sous la forme d’un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé par le preneur, qui s’applique lorsque son montant dépasse le loyer contractuellement prévu. En pratique, le loyer minimum garanti est si élevé que le loyer variable additionnel n’est pratiquement jamais versé.

Parmi les arrêts les plus marquants de l’histoire des loyers binaires, l’arrêt du 10 mai 1993 dit « Théâtre Saint Georges » (C. Cass, Ch. civ 3, 10 mars 1993, n°91-13.418) est venu préciser que la fixation du loyer de renouvellement échappait au statut des baux commerciaux (dispositions du décret du 30 septembre 1953) et n’était régie que par la convention des parties.

En conséquence et pour éviter une situation d’impasse, les bailleurs ont alors mis en place une méthode de revalorisation du loyer de base en cas de désaccord des parties. Une clause expresse attribuant contractuellement au juge des loyers la compétence de fixer lors du renouvellement, le minimum garanti à la valeur locative a alors été insérée dans les baux.

Depuis l’arrêt du 3 novembre 2016 dit « Marveine » (C.Cass, Ch. civ 3, 3 novembre 2016, n°15-16.827), les parties pouvaient « lorsque le contrat le prévoit, recourir au juge des loyers commerciaux pour fixer, lors du renouvellement, le minimum garanti à la valeur locative (…) le juge statue alors selon les critères de l’article L. 145-33 précité, notamment au regard de l’obligation contractuelle du preneur de verser, en sus du minimum garanti, une part variable, en appréciant l’abattement qui en découle ».

Quid de l’abattement pour loyer variable lorsque ce dernier n’a jamais été versé, faute de chiffre d’affaires suffisant ? Dans la décision rendue par le TGI de CRETEIL le 27 juin 2018, le Tribunal avait estimé « qu’il convient d’appliquer un abattement du chef de l’obligation contractuelle de payer un loyer variable additionnel, y compris si celui-ci n’est jamais payé ». Le Tribunal avait retenu un abattement de 5% sur la valeur locative telle que fixée par l’expert.

Un arrêt attendu de la cour d’appel de Paris du 3 juin 2020 est venu statuer en appel de ce jugement en précisant que les dispositions contractuelles fixant les critères de la détermination du loyer de base ne visent pas les dispositions du code de commerce, et aucune référence n’est faite à l’article L. 145-33 dudit code, de sorte qu’il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article R. 145-8 du code de commerce qui ne sont pas d’ordre public. De ce fait, le juge n’avait pas pour mission d’appliquer un abattement au titre de la part variable du loyer et un tel abattement ne pouvait donc être retenu.

Cet arrêt décisif, indiquant explicitement que lorsque le contrat ne prévoit pas de se référer à l’article L. 145-33 précité, il n’y a pas lieu d’appliquer d’abattement au titre de la part variable du loyer, éclaire enfin l’Expert jusqu’ici incertain sur les abattements à considérer dans ses valorisations.

 

Lire aussi :

Rebondissement autour du loyer binaire

Valeur locative d’hôtel : abattement pour clause d’accession en fin jouissance

L’incidence de l’accession en fin de jouissance sur la valeur locative donne lieu à de nombreux échanges entre les professionnels de l’immobilier, certains optant pour une majoration et d’autres pour un abattement. Cette question mérite également d’être étudiée en matière hôtelière.

Pour rappel, la valeur locative des établissements hôteliers, considérés comme monovalents, doit être fixée suivant les usages observés dans la branche d’activité considérée. Faire abstraction des travaux d’amélioration au sens large au motif que le dispositif spécifique des articles L311-1s du code de Tourisme est conforme au principe « Generalia specialibus… » n’apparaît pas pleinement satisfaisant. 

Il est exact que le jeu combiné des articles L145-36 et R.145-10 du Code de commerce ne renvoie pas à l’article R.145-8 du Code de commerce. Pour autant, la volonté contractuelle univoque d’insérer une clause d’accession en fin de jouissance mériterait – dans une acception économique et non juridique – application en matière d’évaluation.  

Dans l’hypothèse d’une clause d’accession en fin de jouissance, la valeur locative en renouvellement serait à apprécier suivant la consistance des locaux à la date de prise d’effet du bail initial. Cette appréciation pose question notamment dans un marché de l’hôtellerie parisienne où les établissements, pour faire face à la demande et aidés en cela par un nouveau classement hôtelier, sont nettement montés en gamme, les segments 3*** et 4**** étant dorénavant nettement majoritaires.  

Compte tenu de la difficulté de considérer la consistance initiale des lieux, l’abattement pour accession en fin de jouissance vise précisément à restituer l’équilibre économique du contrat de bail. Il aurait également pour mérite de combler les lacunes du dispositif du Code du Tourisme, datant du 1er juillet 1964 et de nature limitatif. Sa lecture à l’heure des impératifs écologiques et de l’hyper-connectivité attendue des clients est d’un charme désuet, mais d’une cruelle rigueur juridique pour celui qui porte l’investissement. 

Une décision récente du Tribunal Judiciaire de Paris (jugement rendu le 23 janvier 2020 / RG17/10268) tend vers cette approche en ce qu’elle retient un principe d’abattement, mais au titre d’une clause d’accession en fin de bail et prévoyant également une remise en état en fin de jouissance… 

La question sous-jacente de cette thématique relève finalement du statut d’ordre public de l’accession en fin de bail en matière hôtelière, qui s’opposerait alors à la liberté contractuelle des parties de prévoir une accession différée.  

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