Le droit de préemption : un enjeu souvent sous-estimé en évaluation immobilière

Le droit de préemption du locataire, prévu lors de la première vente d’un logement après une mise en copropriété, est souvent négligé et peu impacter la valeur d’un bien.

Ce dispositif peut avoir un impact direct sur la valorisation d’un bien et sur la réussite d’une transaction. Il est d’ailleurs fréquemment ignoré par l’administration fiscale dans le cadre de procédures de redressement.

L’évaluation d’un bien immobilier ne se limite pas à l’analyse de ses caractéristiques physiques ou de son environnement. Elle doit également intégrer l’ensemble des contraintes juridiques susceptibles d’influencer sa valeur vénale et sa liquidité sur le marché.

Le cadre légal du droit de préemption du locataire

Lorsqu’un logement fait l’objet d’une première vente consécutive à une division ou à une mise en copropriété, l’article 10 de la Loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d’habitation accorde au locataire ou à l’occupant de bonne foi un droit de préemption.

Avant toute vente, le propriétaire bailleur doit notifier au locataire — par lettre recommandée avec accusé de réception — le prix et les conditions de la vente envisagée. Cette notification vaut offre de vente ferme.

Le locataire dispose alors :

  • d’un délai de deux mois pour accepter l’offre,
  • porté à quatre mois s’il sollicite un financement bancaire.

En cas d’acceptation, la vente doit être régularisée dans les délais impartis.

En cas de refus, le locataire conserve simplement son droit d’occupation.

Une procédure complexe et contraignante pour le vendeur

Le propriétaire doit également informer le locataire si le bien est finalement proposé à un prix inférieur ou à des conditions plus avantageuses.

Dans ce cas, un nouveau droit de préemption s’ouvre pour une durée d’un mois. Autrement dit, à chaque modification du prix de vente, le locataire peut à nouveau se positionner sur le bien, sans négociation.

Ces dispositions engendrent plusieurs conséquences pratiques :

  • Des délais supplémentaires : le vendeur doit attendre la fin des délais légaux avant de conclure la vente à un tiers.
  • Une incertitude sur la réalisation de la vente : le locataire peut exercer son droit à tout moment tant que la procédure est en cours.
  • Un allongement du calendrier : en cas de demande de financement, les délais peuvent encore s’étendre.

Les incidences du droit de préemption sur la valeur du bien

En expertise immobilière, la valeur d’un bien dépend notamment de sa liquidité et du niveau de risque perçu par les acteurs du marché.

Un actif soumis au droit de préemption du locataire présente un profil plus risqué en raison :

  • des aléas procéduraux liés à la notification et aux délais légaux ;
  • de la moindre visibilité sur le calendrier de cession ;
  • et de la possibilité d’un désistement tardif du locataire.

Ces éléments doivent être pris en compte dans l’évaluation, souvent par l’application d’une décote de valeur adaptée au niveau de contrainte et au risque de liquidité du bien.




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Expert immobilier analysant le droit de préemption sur l'évaluation d'un bien

Quels abattements pour détention en indivision ?

La forme juridique de la détention peut avoir un impact sur la valeur vénale. 

S’agissant de biens détenus en indivision, la Cour de cassation a clairement précisé que la valeur vénale des droits indivis est spécifique et ne se confond pas avec la quote-part de la valeur vénale totale qu’aurait le bien s’il appartenait à un seul propriétaire (Cass. com. 19-6-1990 n° 867 P ; Cass. com. 10-12-1996 n° 2072 D ; Cass. com. 22-2-2000 n° 486 P ; Cass. com. 4-12-2001 n° 2034 FS-D), 

 

Un bien détenu en indivision souffre d’illiquidité compte tenu notamment de : 

  • La présence de plusieurs indivisaires, 

 

  • La transmission patrimoniale plus délicate, 

 

  • Du potentiel caractère familial et donc conservateur (voire fermé) de l’indivision réduisant l’accès à d’éventuels acheteurs tiers. 

 

 Il convient donc à ce titre, de retenir un abattement tenant compte du caractère indivis de la détention ayant pour effet de rendre les parts moins « liquides » et la gestion plus complexe.  

 

 La jurisprudence est nourrie au sujet de la validité de cette décote :  

  • La Cour de cassation a validé une décote pour indivision de -20% contestée par l’administration fiscale sur une valeur vénale d’un immeuble : « l’administration fiscale méconnaît les limites fixées aux droits des indivisaires par les articles 815 et suivants du Code civil en conséquence desquelles les droits indivis peuvent être considérés comme inférieurs de 20 % à la valeur totale du bien ; » CCA, 16 fev. 2016, n° de pourvoi: 14-23301, 

 

  • La Cour administrative de Nantes a validé une décote pour minorité de -35%, appliquée par l’Administration conformément à l’avis émis par la Commission départementale compétente : « l’administration, après avoir appliqué, conformément à l’avis émis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, un abattement de 35% pour tenir compte du caractère minoritaire de la cession en cause, a déterminé un prix unitaire de 205 euros, sensiblement supérieur au prix d’acquisition susmentionné de 112,51 euros» ; CAA Nantes 20 avril 2009,  n° 08NT01193, 

 

  • TGI PARIS, N°RG : 13/08178 jugement du 7 mars 2014 a retenu décote de -20 % pour illiquidité, 

 

  • TGI PARIS, N°RG : 14/02442 jugement du 5 mai 2015 a retenu décote de -20 % pour illiquidité et -5% pour détention minoritaire. 

 

Notons que ce mécanisme de décote de la valeur vénale en fonction du régime de détention de la propriété s’applique également pour la détention de parts de sociétés civiles.  

Pour cela, il convient de s’appuyer sur les statuts de la SCI pour déterminer quels abattements peuvent alors s’appliquer en fonction notamment des conditions de cessions des parts sociales.  

L’impact du loyer facial sur la valeur vénale

Dans le numéro de décembre de la Lettre M2Jean-Philippe MONNET – MRICS (expert associé), nous éclaire sur l’impact du loyer facial sur la valeur vénale.

Retrouvez tous les mois la rubrique Carré d’Experts dans laquelle les experts en évaluation immobilière, partenaires de la revue, décryptent l’actualité qui influence l’économie immobilière.

De l’opportunité statistique de saisir le juge de l’expropriation

En matière d’expropriation, l’indemnité principale doit correspondre à la valeur vénale du bien exproprié à la date de la décision de 1ère instance. L’indemnité principale permet à l’ancien propriétaire d’acquérir un bien équivalent à celui dont il a été dépossédé.

Dès lors, dans la mesure où l’expropriant doit proposer à l’exproprié une indemnisation correspondant à la valeur vénale du bien, qu’observe-t-on statistiquement lors des analyses des décisions judiciaires à Paris et Île-de-France ?

En préambule, il convient de rappeler que jusqu’à une époque récente, en matière d’expropriation, l’expertise était expressément prohibée en 1ère instance. Un arrêt du 24 avril 2006 de la Cour européenne des Droits de l’Homme a eu pour conséquence de contraindre l’État français à revoir un tel dispositif. L’article R 322-2 CECUP permet dorénavant au juge de désigner un expert pour l’éclairer, en vue de la détermination de la valeur d’immeubles et d’éléments immobiliers non transférables notamment. L’expropriant peut également faire diligenter puis produire un rapport d’expertise au titre d’élément de preuve.

Nous avons procédé à l’analyse de plus de 130 décisions de 1ère instance et cour d’appel à Paris et Ile-de-France entre 2015/2018 afin d’apprécier statistiquement le niveau des offres proposées par l’expropriant, de la demande formulée par l’exproprié et enfin le montant de l’indemnité retenue par le juge.

Il ressort de cette analyse que :

  • Le juge alloue une indemnité correspondant en moyenne à 145% (1,45 fois) du montant de l’offre initialement proposée par l’expropriant. A contrario, le ratio décision / demande fait ressortir un ratio de 44%, soit une décote de 56% de cette dernière demande,
  • Le ratio décision / offre oscille suivant les jugements entre 100% et 342% du montant de la demande (entre env. 1 fois et 3,5 fois le montant de l’offre),

 

Grille de lecture: L’autorité expropriante a proposé une indemnisation moyenne de 750.000 € à l’exproprié. Ce dernier a formulé une demande moyenne de 2,45 millions d’euros (soit +325%). Le juge de l’expropriation a octroyé une indemnité moyenne de 1,08 millions d’euros, soit 1,45 fois (+145%) de l’offre proposée par l’expropriant à l’exproprié.

Nous observons également :

  • 11 décisions pour lesquelles le magistrat a attribué une indemnité correspondant exactement à l’offre de l’expropriant,
  • 119 décisions supérieures[1] à l’offre de l’expropriant, dont le 1er quartile est de 114% (1,14 fois l’offre), 2ème quartile : 134% ; 3ème quartile : 171% et 4ème quartile : 342%.

 

Nous n’avons pas relevé de fortes disparités territoriales suivant la domiciliation du tribunal (Paris, 1ère couronne et 2ème couronne). Il semblerait toutefois que les jugements rendus sur Paris soient plus favorables aux expropriés, dans la mesure ou l’indemnité moyenne allouée correspond à 1,48 fois l’offre, contre 1,44 en 1ère couronne et 1,41 en 2ème couronne.

En ce qui concerne la nature des biens expropriés, nous observons que les indemnités allouées sont plus importantes (par rapport à l’offre de l’expropriant) lorsqu’elles portent sur l’indemnisation de locaux à usage d’habitation et/ou mixtes (env. +150%) à contrario des terrains (+133%).

En conclusion, à la lumière de ces éléments statistiques, nous ne pouvons qu’encourager les personnes physiques et morales faisant l’objet d’une procédure d’expropriation à entamer des négociations amiables avec l’autorité expropriante. Agir en justice doit également être une voie à ne pas écarter. Le recours à un expert immobilier spécialisé, qui aura une bonne connaissance de la matière et des exigences de l’expropriation, et plus spécialement des contraintes liées au cadre légal et méthodologique de l’estimation en matière d’expropriation mérite d’être étudié. Le rapport d’expertise pourra par ailleurs être produit devant le juge de l’expropriation, en l’absence d’accord amiable comme élément de preuve au soutien des prétentions de l’exproprié.

Source : AJDI 2019 et 2020

 

[1] L’article R 311-22 CECUP dispose que le juge statue dans la limite des prétentions des parties. Dès lors, il ne peut octroyer une indemnité inférieure ou supérieure aux demandes des parties telles qu’elles résultent des mémoires des parties et conclusions du commissaire du gouvernement. Il est donc fait interdiction au juge de statuer ultra petita.  

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