Lorsque l’expertise privée a valeur d’expertise judiciaire

Résumé : Entré en vigueur le 1er novembre 2021, le décret n°2021-1322 du 11 octobre 2021 – article 4 a modifié l’article 1554 du code de procédure civile, afférent à la procédure participative. Dorénavant, l’expertise dite privée et contradictoire a valeur de rapport d’expertise judiciaire.

Dans le cadre d’une procédure participative aux fins de mise en état (PPMEE), le rapport déposé par le technicien choisi d’un commun accord par les parties a dorénavant valeur de rapport judiciaire, lorsque précédemment, il « pouvait être produit en justice » (voir la rédaction antérieure de l’ancien article 1554 du CPC).

Il s’agit d’une procédure de négociation entre les parties, conduites par leurs avocats pour œuvrer ensemble et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend ou à la mise en état de leur litige. Les avocats devraient se saisir de l’opportunité que constitue ces PPMEE tout en permettant de désengorger les tribunaux et accélérer les opérations d’expertise, dans le respect du contradictoire.

Le lecteur est renvoyé à l’excellent article de maîtres Hervé REGNAULT et Emmanuel JULIEN intitulé « L’expertise sans le juge à tous moments ».

 

Nota : ces modifications entrent en vigueur au 1er novembre 2021 et sont applicables aux instances en cours à cette date (Décr. n° 2021-1322, 11 oct. 2021, art. 8, I).

Arbitrage et convention de procédure participative : MARD de la justice ?

L’arbitrage et la convention de procédure participative sont des Modes Alternatifs de Règlement des Différends, communément appelés MARD.

Plusieurs sondages réalisés par le Conseil National des Barreaux en 2021 indiquent que 56% des Français connaissent l’existence d’alternatives juridiques au procès. La médiation et la conciliation sont les plus connus (plus de 80% des répondants), suivis par l’arbitrage (63%) et la procédure participative (29%).

Pour autant, en évaluation immobilière, nombreuses sont les parties faisant appel au juge dès qu’un différend se présente alors qu’un expert tiers peut être désigné dans le cadre d’un arbitrage ou d’une convention de procédure participative.

Comment l’arbitrage et la convention de procédure participative permettent-ils de solutionner les litiges d’évaluation immobilière ?

 1) L’arbitrage

L’arbitrage peut intervenir en amont ou en cours d’instance[1].

Avant l’instance, les parties peuvent signer une clause compromissoire, directement insérée dans le contrat ou faisant l’objet d’une convention séparée. Signé par les deux parties, cet écrit mentionne le choix de l’arbitre chargé de trancher le différend. L’arbitre a ainsi le pouvoir de désigner un expert qui fournira les éléments de valorisation nécessaires à trancher le litige. En présence d’une telle convention, le litige ne peut être porté devant une juridiction d’État qui se déclarera incompétente.

Lorsque les parties ont déjà saisi un juge, elles peuvent toutefois soumettre leur litige à un tribunal arbitral en choisissant de signer un compromis. Ce compromis doit déterminer l’étendue de l’objet du litige et la désignation des arbitres. L’arbitre ainsi désigné dispose des mêmes pouvoirs que l’arbitre désigné dans un cadre amiable.

Lorsque la convention d’arbitrage ne fixe pas de délai, la durée de mission du tribunal arbitral est de six mois à compter de sa saisine.

Les avantages de l’arbitrage sont donc multiples :

  • Rapidité de la procédure,
  • Souplesse de la procédure, dénuée de formalisme judiciaire.

Les parties doivent toutefois supporter (sans aide juridictionnelle) les honoraires liés à la procédure en intégralité. Les honoraires des arbitres sont connus en amont, permettant une certaine prévisibilité des frais engagés.

2) La convention de procédure participative

La convention de procédure participative peut également intervenir en amont ou durant l’instance[2].

Avant de saisir la justice, les parties assistées de leurs avocats peuvent mettre en œuvre une convention par laquelle les parties s’engagent à œuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution de leur différend. Un éventuel échec de ce MARD rend libres les parties d’ester en justice ; le juge pourra alors prendre en compte les échanges déjà intervenus pour accélérer le traitement de l’affaire.

Chaque partie est accompagnée tout au long de la procédure par un avocat ; les parties ont le choix de désigner un expert commun pour solutionner le litige sur la base du rapport d’expertise.

Une issue positive verra les parties signer une convention précisant les modalités de l’accord trouvé. Cette convention pourra être homologuée par le juge.

La convention de procédure participative permettra également la mise en état d’une instance en cours ; un accord pourra alors être homologué par le juge.

Cette convention est à durée déterminée.

La convention de procédure participative présente d’autres avantages propres :

  • Prévisibilité : les parties conservent la maîtrise des décisions prises,
  • Économie : les parties partagent les frais.

Appliqués à l’évaluation immobilière, les MARD sont d’un intérêt notoire. Facilitateurs de procédure, ils permettent la désignation d’un expert dans des conditions dont les parties peuvent choisir le degré de maîtrise. Leur souplesse de mise en œuvre facilite d’autant le recours à un expert en évaluation immobilière dans un contexte extra-judiciaire.

 

[1] Pour en savoir plus : articles 1442 à 1527 du Code de Procédure Civile

[2] Pour en savoir plus : articles 2062 à 2068 du Code Civil

Pour aller plus loin : L’expertise sans le juge à tous moments 

De l’opportunité statistique de saisir le juge de l’expropriation

En matière d’expropriation, l’indemnité principale doit correspondre à la valeur vénale du bien exproprié à la date de la décision de 1ère instance. L’indemnité principale permet à l’ancien propriétaire d’acquérir un bien équivalent à celui dont il a été dépossédé.

Dès lors, dans la mesure où l’expropriant doit proposer à l’exproprié une indemnisation correspondant à la valeur vénale du bien, qu’observe-t-on statistiquement lors des analyses des décisions judiciaires à Paris et Île-de-France ?

En préambule, il convient de rappeler que jusqu’à une époque récente, en matière d’expropriation, l’expertise était expressément prohibée en 1ère instance. Un arrêt du 24 avril 2006 de la Cour européenne des Droits de l’Homme a eu pour conséquence de contraindre l’État français à revoir un tel dispositif. L’article R 322-2 CECUP permet dorénavant au juge de désigner un expert pour l’éclairer, en vue de la détermination de la valeur d’immeubles et d’éléments immobiliers non transférables notamment. L’expropriant peut également faire diligenter puis produire un rapport d’expertise au titre d’élément de preuve.

Nous avons procédé à l’analyse de plus de 130 décisions de 1ère instance et cour d’appel à Paris et Ile-de-France entre 2015/2018 afin d’apprécier statistiquement le niveau des offres proposées par l’expropriant, de la demande formulée par l’exproprié et enfin le montant de l’indemnité retenue par le juge.

Il ressort de cette analyse que :

  • Le juge alloue une indemnité correspondant en moyenne à 145% (1,45 fois) du montant de l’offre initialement proposée par l’expropriant. A contrario, le ratio décision / demande fait ressortir un ratio de 44%, soit une décote de 56% de cette dernière demande,
  • Le ratio décision / offre oscille suivant les jugements entre 100% et 342% du montant de la demande (entre env. 1 fois et 3,5 fois le montant de l’offre),

 

Grille de lecture: L’autorité expropriante a proposé une indemnisation moyenne de 750.000 € à l’exproprié. Ce dernier a formulé une demande moyenne de 2,45 millions d’euros (soit +325%). Le juge de l’expropriation a octroyé une indemnité moyenne de 1,08 millions d’euros, soit 1,45 fois (+145%) de l’offre proposée par l’expropriant à l’exproprié.

Nous observons également :

  • 11 décisions pour lesquelles le magistrat a attribué une indemnité correspondant exactement à l’offre de l’expropriant,
  • 119 décisions supérieures[1] à l’offre de l’expropriant, dont le 1er quartile est de 114% (1,14 fois l’offre), 2ème quartile : 134% ; 3ème quartile : 171% et 4ème quartile : 342%.

 

Nous n’avons pas relevé de fortes disparités territoriales suivant la domiciliation du tribunal (Paris, 1ère couronne et 2ème couronne). Il semblerait toutefois que les jugements rendus sur Paris soient plus favorables aux expropriés, dans la mesure ou l’indemnité moyenne allouée correspond à 1,48 fois l’offre, contre 1,44 en 1ère couronne et 1,41 en 2ème couronne.

En ce qui concerne la nature des biens expropriés, nous observons que les indemnités allouées sont plus importantes (par rapport à l’offre de l’expropriant) lorsqu’elles portent sur l’indemnisation de locaux à usage d’habitation et/ou mixtes (env. +150%) à contrario des terrains (+133%).

En conclusion, à la lumière de ces éléments statistiques, nous ne pouvons qu’encourager les personnes physiques et morales faisant l’objet d’une procédure d’expropriation à entamer des négociations amiables avec l’autorité expropriante. Agir en justice doit également être une voie à ne pas écarter. Le recours à un expert immobilier spécialisé, qui aura une bonne connaissance de la matière et des exigences de l’expropriation, et plus spécialement des contraintes liées au cadre légal et méthodologique de l’estimation en matière d’expropriation mérite d’être étudié. Le rapport d’expertise pourra par ailleurs être produit devant le juge de l’expropriation, en l’absence d’accord amiable comme élément de preuve au soutien des prétentions de l’exproprié.

Source : AJDI 2019 et 2020

 

[1] L’article R 311-22 CECUP dispose que le juge statue dans la limite des prétentions des parties. Dès lors, il ne peut octroyer une indemnité inférieure ou supérieure aux demandes des parties telles qu’elles résultent des mémoires des parties et conclusions du commissaire du gouvernement. Il est donc fait interdiction au juge de statuer ultra petita.  

L’exécution provisoire de droit

La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice entendait offrir une justice plus rapide, plus efficace et plus moderne au service des justiciables. Elle prévoit en ce sens un ensemble de dispositions visant à simplifier et à rationaliser le recours au juge.

La consécration du principe de l’exécution provisoire des décisions de justice en est un parfait exemple. Le principe est désormais posé par l’article 514 du Code de procédure civile qui dispose que « les décisions de premières instances sont, de droit, exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement ».

Il est désormais possible de faire exécuter une décision de justice alors même qu’elle fait l’objet d’une voie de recours ce qui rompt avec la logique antérieure où l’exécution provisoire ne pouvait pas être poursuivie sans avoir été ordonnée si ce n’est pour les décisions qui en bénéficiaient de plein droit.

A ce titre l’article 514 ancien du Code de procédure civile prévoyait qu’étaient exécutoires de plein droit :

  • Les ordonnances de référé
  • Les décisions qui prescrivent des mesures provisoires pour le cours de l’instance
  • Les décisions qui ordonnent des mesures conservatoires
  • Les ordonnances du juge de la mise en état qui accordent une provision au créancier.

Le législateur a ainsi entendu inverser le principe en généralisant l’exécution provisoire qui devient de droit.

Toutefois, le nouveau texte prévoit quelques exceptions laissant au juge, même d’office, la possibilité d’écarter, en tout ou partie l’exécution provisoire de droit s’il l’estime incompatible avec la nature de l’affaire, sa décision devant alors être spécialement motivée.

Le nouvel article 514-1 du Code de procédure civile interdit cependant au juge d’écarter l’exécution provisoire lorsqu’il est face à une décision considérée comme exécutoire à titre provisoire de plein droit au sens de l’ancien article 514 (ordonnance de référé…). Dans l’hypothèse où l’exécution provisoire aurait été écartée, son rétablissement peut toujours être demandé à l’occasion d’un appel, en cas d’urgence et si ce rétablissement est à la fois compatible avec la nature de l’affaire et qu’il n’entraîne pas des conséquences manifestement excessives.

En outre, les nouvelles dispositions prévoient qu’en cas d’appel, il peut être demandé au Premier Président de la Cour d’appel (qui garde une compétence exclusive en la matière) l’arrêt de l’exécution provisoire de droit à condition de rapporter l’existence de moyens sérieux d’annulation ou de réformation et un risque que l’exécution entraîne des conséquences manifestement excessives.

Enfin, le texte limite la possibilité d’une telle demande si la partie qui l’invoque ayant comparu en première instance n’avait fait valoir aucune observation sur les conséquences qu’auraient eu une telle exécution pour elle. La demande n’est ainsi recevable que si elle démontre que les conséquences manifestement excessives pour elle sont révélées postérieurement à la décision de première instance. L’objectif de la réforme clairement affiché par ces nouvelles dispositions est de désengorger les Cours d’appel et surtout de favoriser le recours au préalable des modes amiables de règlement des conflits. Ces dispositions pourraient s’avérer créer l’effet inverse dans le cas des jugements de première instance qui seraient réformés en alourdissant au contraire le contentieux du juge de l’exécution et en encombrant plus la juridiction du Premier Président.

La jurisprudence future sur la question nous dira comment les juges useront de cette nouvelle disposition.

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